C’est sur les pistes enneigées de Barèges au pied du Pic-du-Midi que Frédéric Charrier aurait pu construire sa carrière. Issu d’une famille « très ski » où son père, sa mère et sa sœur sont moniteurs, il a choisi le « hors-piste » en quittant le cirque blanc et la route du Col du Tourmalet pour le Rugby. Inspiré par le « grand Lourdes » et son épopée fabuleuse, c’est dans la vallée qu’il a nourri sa passion à l’adolescence avant de porter les couleurs Rouge et Bleu du FC Lourdes. Quelques années plus tard, Christophe Urios a donné un nouveau tournant à sa carrière en la stoppant soudainement (et à sa plus grande surprise) pour l’orienter vers un rôle d’entraineur. Depuis, les deux hommes ont trouvé un équilibre très fusionnel. Voici l’histoire du miracle…

Il y a encore un fond d’accent pyrénéen qui roule dans les paroles de Fred lorsqu’il évoque son enfance sur les hauteurs de la station de Barèges « où il passait tous les week-ends ». « Toute ma famille est dans le Ski. Mon père, ma mère, ma sœur sont tous moniteurs. Mon grand-père était président du Ski Club Lourdais. » Le ski comme une religion pour ce Lourdais de naissance qui a passé ses oursons, flocons et étoiles, bien avant de faire ses premières passes. « Nous passions toutes nos vacances à la station et l’été nous allions dans les Alpes sur le glacier. » A 14 ans, il décide de raccrocher les planches et ranger les chaussures pour tenter le sport collectif. « Cela correspondait plus à mon caractère et après 2 années de Foot, j’ai suivi des copains au Rugby. Là il s’est passé quelque chose. J’ai très vite accroché et cherché à tout connaitre de ce sport. Je regardais tous les matchs, j’achetais tous les magazines… » Dans cette petite ville d’une dizaine de milliers d’habitants dont la renommée mondiale tient à l’apparition de la vierge Marie en 1858 et à ses pèlerinages commémoratifs, le Rugby a une place toute particulière. Dans les années 50-60, le « Grand Lourdes de Jean Prat » marchait sur le Rugby français faisant naitre dans la Vallée une passion qui 20 ans plus tard « fascinait » encore le jeune joueur du FCL arrivé au club à 14 ans. « Les récits des anciens qui racontaient l’Histoire du Grand Lourdes étaient incroyables. C’était fou de se dire que cette petite ville était devenue la référence du Rugby. Il y avait forcément de la fierté de porter ce maillot. » Et de fouler la pelouse du stade Antoine-Béguère (inviolée pendant 12 ans dans les années 50) que Fred a découvert, avec l’équipe première, à 17 ans seulement. Après quelques saisons au centre en Fédérale 1, il décide de prendre la direction de Montpellier où il s’impose comme un leader de l’équipe héraultaise avec laquelle il disputera 9 saisons et participera à la montée en Top 16. Vient ensuite le départ à Oyonnax (en 2007) où Christophe Urios le nomme immédiatement capitaine. « On ne se connaissait pas mais cela a rapidement accroché entre nous ». L’histoire entre les deux hommes prend un tournant inattendu (en tout cas pour Frédéric) au terme de la saison 2010…
« Je ne savais pas pourquoi j’allais dans son bureau… J’en suis ressorti avec une proposition d’entraîneur ! »
Alors qu’il lui restait une année de contrat et qu’Olivier Nier (adjoint de Christophe à Oyo) avait annoncé son départ « tout le monde attendait de savoir qui allait prendre la relève » se souvient le capitaine des Oyomen de l’époque. Un matin, Christophe le convoque dans son bureau. « Je n’avais aucune idée de la raison pour laquelle il me faisait venir… j’ai vite été fixé. » « Je sais que tu as une année de joueur mais je veux que tu sois entraineur avec moi la saison prochaine ». Dans sa franchise légendaire, le coach clermontois a un peu bousculé le Lourdais… « J’ai appris à la fois que je devais arrêter ma carrière (rires) et qu’une autre s’offrait à moi ! 3 jours après il avait ma réponse. J’avais un genou qui commençait à couiner, une belle opportunité d’entrainer avec quelqu’un de cette expérience. Pour des débuts : c’était inespéré dans un club pro. Je me suis engagé pour 2 ans en disant … si ça marche pas je ne fais que retarder ma reconversion d’un ou deux ans ». L’idée de devenir « conducteur de travaux » après sa carrière ne verra jamais le jour tant la compétence de l’autre côté de la barrière s’affirme au fil des années. Pourtant, les premiers mois n’ont pas été si faciles… « J’entrainais avec des mecs avec qui je jouais mais aussi certains qui voulaient le poste… ça montre le vrai visage des gens. Cela a été très formateur. Dans la difficulté, cela a aussi renforcé la relation en Christophe. » L’année 2013 marque le début de la croissance exponentielle du duo. « En 2013, nous avions la pression et un challenge important. C’est l’année où nous recrutons Benjamin Urdapilleta, Joe el Abd, etc. Une saison incroyable où nous montons en Top 14 avec 17 points d’avance au mois de janvier. L’aventure est vraiment partie de là… » Depuis, Frédéric et Christophe ont fait un beau bout de chemin ensemble : la montée d’Oyo, la qualification des Oyomen, le départ à Castres et le titre en 2018, puis les premières années bordelaises… Entre passionnés de Rugby la connexion est facile. « Parler rugby, manger rugby, dormir rugby ce n’est pas quelque chose qui me dérange, au contraire » avoue Fred.

De cette épopée est née « une vraie relation de confiance ». « Dans les saisons, il y a toujours des moments difficiles, des passages compliqués et il y a besoin, dans un staff, de se sentir en confiance les uns avec les autres, d’avoir aussi des connexions qui soient faciles, fluides. On a cette relation-là qui fait que nous nous trouvons les yeux fermés ». Une relation qui dépasse le cadre du sport et du travail. « Nous nous sommes suivis, les enfants sont quasiment du même âge et ont grandi ensemble à Oyo, à Castres et Bordeaux… nos familles sont devenues très proches. » Alors, quand la situation a dérapé à Bordeaux la saison dernière, les répercutions se sont faites ressentir. « Quand il y a eu cette cassure, ma relation avec les joueurs a dû changer. Au début, je ne savais pas trop où me situer par rapport aux joueurs de Bordeaux : Savoir ce qu’il s’était passé, où étaient les non-dits, qui disaient la vérité… une forme de flou s’est installée posant quelque chose de malsain sur l’environnement. Nous avons, avec Julien (Laïrle, NDLR), géré au mieux tout en gardant l’objectif de qualifier le club. Ce fut une saison particulière, difficile mais comme tous ces moments : ils font grandir. »
« Entraîner Clermont est une belle opportunité et une grande fierté ! »
Dans l’esprit de Frédéric, la fin de saison sifflée, retrouver Christophe « était l’option 1 ». « Il y avait d’autres chemins possibles mais quand l’opportunité s’est présentée, elle est devenue la priorité. » Très heureux de retrouver celui qui lui a mis le pied à l’étrier et avec qui il forme un duo aussi proche qu’efficace, Fred a pris en mains (avec Julien) une grande partie de l’animation des séances auvergnates. « Il nous laisse beaucoup de liberté car je sais ce qu’il attend d’un entraineur et ce qu’il souhaite contrôler en tant que manager. Si je sens que des choses vont le gêner, je lui en parle avant. Ainsi lorsqu’elles se présentent, il ne tombe pas de la chaise. Christophe doit avoir une vision d’ensemble pour tout contrôler, mon rôle est d’anticiper pour lui rendre la vision la plus claire possible. Nous sommes toujours dans une relation de va-et-vient pour aller vers des choses faciles et fluides ». Depuis sa prise de fonctions, Frédéric prend conscience de ce que le club représente sur son territoire. « Clermont est une place forte du Rugby français, les supporters sont mobilisés et passionnés, la culture « jaune et bleu » est partout. Le Michelin a toujours été un endroit spécial lorsque je m’y suis déplacé, c’est super excitant et motivant d’entrainer ici. Il y a à la fois de la fierté mais aussi la détermination de conduire le club vers les résultats qu’il mérite. » Comme un certain Vern Cotter qu’il « a bien connu à Lourdes » lorsque celui-ci évoluait sous les couleurs du club des Hautes-Pyrénées. Un point commun qui on l’espère en appellera d’autres…