Aujourd’hui, à 16h25, lorsque la délégation tricolore a pris son envol de l’aéroport Paris Charles-de-Gaulle en direction de la Nouvelle-Zélande pour disputer la Coupe du Monde, Jessy Trémoulière a validé un premier objectif : « faire partie de la liste ». Mais pour cette formidable championne, figure emblématique du Rugby féminin depuis une dizaine d’années, les objectifs vont bien au-delà d’un simple billet aller-retour entre l’Auvergne et Auckland.

 

Difficile pour Jessy de mettre des mots sur ce que représente cette Coupe du Monde dans le pays du Rugby où elle s’apprête à mettre les pieds en compagnie des 31 Bleues en mission pour ramener le titre mondial. « Cela représente beaucoup de choses. J’ai eu la chance de mesurer la place de notre sport en Nouvelle-Zélande, lorsque j’étais sur le circuit à 7. La culture est très différente, la passion est partout. Quand j’ai su que la Coupe du Monde était là-bas, je me suis dit que je devais tout faire pour y retourner… » C’était il y a 5 ans, Jessy avait vécu un drôle (dans le mauvais sens du terme) « d’ascenseur émotionnel ». Blessée à une hanche, elle avait couru après le temps pour intégrer la préparation de la Coupe du Monde 2017. « J’avais fait beaucoup d’efforts pour rattraper tout le monde … et finalement, au dernier moment, j’ai appris que je n’étais pas dans la liste des 32. » C’était trop juste, la déception fut énorme pour celle qui sera élue l’année suivante « Meilleure joueuse du Monde » par World Rugby (première et seule française à ce jour à décrocher ce titre honorifique). La frustration devient rapidement motivation. « Cet objectif, je l’ai depuis 5 ans ! Depuis 5 ans, je travaille et je m’entraîne pour cette compétition, pour me donner les moyens d’aller chercher ce titre de championne du monde. » Et qu’importe s’il a fallu attendre une année de plus en raison du report de la compétition après l’épidémie de Covid, l’arrière auvergnate en rigole … « Je me suis dit : Punaise : Une année de plus ! J’espère que je serai encore en forme mais j’ai l’impression que c’est plutôt le cas alors je n’ai qu’une hâte : être dans l’avion ! » C’est le cas ! En ce moment même, la délégation tricolore fait le long voyage vers l’hémisphère sud, des rêves plein la tête. Des rêves ? Pas vraiment, ce sont plutôt des ambitions que les Tricolores amènent dans leurs bagages au bout du monde. « Nous partons avec une équipe rajeunie mais toutes les filles sont dans le groupe depuis le début de la saison. Nous avons des forces partout, dans toutes les lignes, de gros gabarits, des possibilités de mettre du jeu au pied, de la vitesse.... Nous avons toutes les armes pour aller chercher quelque chose sur cette Coupe du Monde. Que ce soit sous la pluie ou en plein soleil, nous aurons une équipe complète et compétitive. » Les Filles ne se cachent pas, comme elles ne se laissent pas aveugler derrière les bons résultats de cette saison, persuadées qu’il faudra encore plus. « Oui, nous avons battu les Blacks, les Sud-Africaines et perdu seulement un match du Tournoi mais le rendu a bien souvent été en dessous de nos attentes sur le contenu, comme ce fut le cas lors des deux matches de préparation face aux Italiennes », reconnait Jessy dans une exigence bien à elle. « Nous serons parmi les trois meilleures équipes de la compétition, nous ferons partie des favorites mais nous sommes capables de tout, du très bon comme du pire. A nous de prendre notre destin en mains. » Le genre de discours fédérateurs que cette merveilleuse compétitrice distillera en interne tout au long de la compétition, forte de ses 11 ans d’expérience avec le groupe France qu’elle a découvert en 2011.

« Je n’aime pas trop parler de sacrifices. Ce sont des choix que j’ai faits et qui me permettent de m’épanouir totalement. »

Une longévité exceptionnelle sur laquelle elle n’aime pas vraiment revenir prétextant un mélange d’humilité et de pudeur propre aux gens de la terre dont elle fait partie. « C’est parfois un peu difficile de regarder derrière », confie-t-elle pourtant. Cette longévité, Jessy la mesure avec les roulements du groupe. « En passant à 32 joueuses, deux « anciennes » avec qui j’ai partagé beaucoup de choses, ont quitté le groupe (NDLR : Caroline Boujard, 46 sélections et Audrey Forlani, 56 sélections). Cela m’a vraiment impacté, mais je sais que cela fait aussi partie de la vie et de la réalité du Rugby avec des filles qui arrivent d’autres qui partent. Je suis là depuis longtemps, nous avons construit beaucoup de choses avec les anciennes, c’est normal d’être touchée en voyant partir des copines. » Jessy, elle, est toujours là, son jeu au pied unique et sa vision du Rugby sont encore et toujours des armes redoutables au service de la nation. Entrée en jeu lors du dernier match de préparation face à l’Italie, elle a, en deux coups de pied gigantesques (dont un magnifique 50/22 que beaucoup de joueurs de Top 14 aurait pu lui envier) et une attaque de ligne, inversé la pression pour redonner confiance aux siennes. A l’arrière ou à l’ouverture (où elle a alterné ces derniers temps) elle sera un socle sûr de ce XV de France Féminin capable d’apporter et de diffuser toute son expérience avec une ambition certaine. « L’objectif est de finir premières de la Poule car cela nous permettrait d’avoir un tirage plus facile lors des ¼ (NDLR : en affrontant un troisième de poule). L’idée est de se rendre la Coupe du Monde la plus facile possible et de prendre de la confiance face aux Anglaises. Si on arrive à les tenir cela peut nous mettre dans de bonnes conditions si nous sommes amenées à les retrouver. Dans un premier temps, il faudra battre l’Afrique du Sud et les Fidji qui sont largement à notre portée et nous verrons ensuite de quoi nous sommes capables. » 

« Se lever en pleine nuit pour le match et enchaîner la traite : ça va être compliqué pour mon papa et mon frère ! »

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La détermination transpire de cette championne qui partage son temps entre le rugby et son exploitation agricole où avec l’aide de son père, Serge, et de son frère, Amaury, elle s’occupe de 180 bêtes dont 50 vaches laitières sur 280 hectares, conciliant entre ses obligations professionnelles et la vie de de sportive de haut niveau depuis plus de 10 ans à l’aide d’une organisation millimétrée et de sacrifices qui imposent le respect. « Je n’aime pas trop parler de sacrifices », grimace Jessy. « Ce sont des choix que j’ai fait et qui me permettent de m’épanouir totalement. Au quotidien, je donne tout pour prétendre à cette équipe de France depuis maintenant près de 12 ans. Je sais qu’il a plus d’années derrière moi que devant, alors je n’ai pas envie de m’oublier. J’ai bien l’intention de profiter de mon aventure. Mon rôle sera d’apporter de l’expérience aux filles autant que je peux, mais je dois aussi trouver le bon équilibre pour vivre cette expérience à fond. » L’équilibre sera plus difficile à trouver vers Barlières à quelques kilomètres de Brioude où la ferme familiale comptera deux bras de moins pour assurer la traite des 50 Prim’Holstein, cultiver les 70 hectares de terre céréalière ou simplement entretenir les 200 hectares restants dédiés à la pâture des 180 bêtes que compte le troupeau. « Je vais, bien sûr, suivre à distance l’évolution de notre élevage, mais il est certain qu’il va manquer une personne. Je sais que mon papa et mon frère vont assurer et redoubler de travail à la ferme pour entretenir ce que nous avons construit, poursuivre le croisement de nos Prim’Hosltein pour continuer d’emmener de la rusticité, du gabarit et de l’authenticité à notre élevage. C’est aussi pour cela que ça me tient à cœur de faire un bon résultat en Nouvelle-Zélande car je sais qu’ils font, tous les deux, beaucoup d’efforts pour que je sois dans les meilleures conditions possibles pour disputer cette Coupe du Monde ». Même si elle ne le dit pas, Jessy sait ce qu’elle leur doit, et ce terme « sacrifices » qu’elle n’aime pas s’appliquer avec la tenue de Rugbywoman convient parfaitement à ceux qui travaillent la terre, les bêtes et les champs. Parmi ceux-ci, le rite immuable du lever à l’aube pour la première traite de la journée où défilent les 50 vaches laitières de la famille. Un réveil agricole que les exploitants laitiers connaissent bien et qu’il faudra encore avancer à Barlières dans quelques jours puisque le premier match des Bleues est programmé à 3h15 du matin (le 8 octobre face à l’Afrique du Sud, sur TF1). « Se lever en pleine nuit et enchaîner la traite ça va être compliqué », constate Jessy « mais je suis certaine qu’ils vont trouver une solution pour regarder les matches. »

 

Serge et Amaury ne rateraient cela pour rien au monde. Dans l’exploitation agricole familiale qui répond au doux nom du GAEC « des pensées », toutes seront tournées vers le pays du long nuage blanc lors des 7 prochaines semaines.