Il y a des discussions qui saoulent et d’autres qui enivrent. Ecouter Rémi Lamerat parler de sa passion pour le vin fait, sans nul doute, partie de la deuxième catégorie. Cet enfant du terroir cultive au plus profond de lui cet amour charnel pour la vigne et les métiers du vin mais aussi et surtout pour la convivialité et le partage. Deux valeurs qui s’accommodent parfaitement à sa passion. De la chimie organique, à la taille des ceps de vigne en passant par les techniques de vinification ou d’assemblage, Rémi s’intéresse à tout ce qui touche au raisin avec l’ambition de faire, bientôt, partie de ce monde.
Tout a commencé, il y a bien longtemps, au beau milieu du vingtième siècle lorsque son arrière-grand-père a décidé de défricher un terrain familial à Loubès-Bernac (dans le Lot-et-Garonne) pour y planter sa vigne sur l’appellation d’origine contrôlée aujourd’hui Côtes de Duras. Avec l’aide de ses enfants (la grand-mère et le grand-oncle de Rémi) toute la famille participe à la naissance de ce vignoble qui sera exploité durant de longues années avant qu’il ne soit vendu et quitte la famille. Qu’importe le vignoble a toujours une place particulière dans l’enfance de Rémi qui participe aux vendanges et connait ses premiers petits métiers estivaux dans les vignes, fabriquant des étiquettes ou aidant les plus grands dans les besognes des vignerons, le tout sous le regard protecteur de son oncle, maître de chai de profession. Le Rugby lui fera quitter sa région d’origine, pas sa passion et c’est tout naturellement au moment où la question de la reconversion s’est posée que son terroir natal est revenu au galop. « Ma volonté était de rebondir dans l’après carrière sur un deuxième métier Passion. Je suis donc assez naturellement revenu vers les métiers du vin. En plus de mes souvenirs d’enfance, ils correspondent assez bien avec ce que je suis capable de transmettre. Le vin est un produit qui met en avant un terroir, une histoire, et qui est avant tout fait pour être partagé et apprécié. » La décision prise, Rémi lance des démarches pour faire aboutir son projet de reconversion. Ce perfectionniste ne néglige rien, s’entoure de guides et se lance dans une formation adaptée à sa carrière de rugbyman professionnel. « J’ai eu la chance de rencontrer des gens formidables comme Bertrand Ravache qui fut le président de mon club formateur (le Stade Foyen) et qui m’a accompagné durant toute ma formation. » Pas question de devenir un « prête-nom » ou de faire une cuvée signature, Rémi veut aller bien plus en profondeur dans la création et la compréhension du vin. Sur son temps libre, il potasse, étudie la chimie organique, va sur le terrain et multiplie les rencontres avec notamment Etienne Rachez, l’œnologue en chef de la cave Desprat St-Verny, ou Benoit Montel, ce passionné qui redonne ses lettres de noblesse aux Côtes d’Auvergne par son travail d’orfèvre.
Avec eux, il écoute, apprend et approfondie sa passion pour en faire un métier à part entière. Les dégustations ne sont plus là pour éblouir dans les soirées mondaines auxquelles Rémi ne prête d’ailleurs pas beaucoup d’attention. Elles sont là pour faire naitre le fruit de la vigne : le vin. « La dégustation d’œnologue est plus scientifique, elle permet de détecter les défauts et adapter la vinification pour les corriger. Cela commence à la dégustation du raisin sur pied pour définir une date de vendange par exemple en fonction de la maturité du jus, des pépins et de la peau, puis celle du jus de raisin, avant de se poursuivre tout au long de la fermentation. Cela continue ensuite lorsque le vin est à maturité afin de savoir si on le met en barrique ou pas, si on doit le filtrer, etc… C’est une dégustation technique d’accompagnement du vin à sa maturité. J’ai aussi participé avec l’œnologue principal de Bernard Ravache à l’assemblage des vins avec toute une série de viticulteurs avec qui il collabore. Nous avons réalisé l’assemblage de blancs de 2018 et des rouges de 2016 qui sont encore en cours de vinification. C’est un travail hyper intéressant qui est l’aboutissement de tout le travail précédent et qui donne réellement naissance au vin qui sera dans les verres des consommateurs ». Toutes ces heures passées sur son temps libre aboutiront bientôt au BTS viticulture-Œnologie, la porte d’entrée de sa vie future.
« Faire un vin qui ressemble à l’endroit d’où il vient »
Depuis qu’il l’étudie, le connait de mieux en mieux, son rapport a changé. « Avant cette formation, je n’avais peut être pas autant d’ouverture d’esprit sur le travail des gens en fonction des régions. En venant ici et en partageant de longs moments avec ceux qui m’ont ouvert leurs portes si gentiment, je me suis rendu compte qu’il y avait une démarche de travail tout aussi qualitative que dans d’autres terroirs. Ils n’ont pas envie de faire un vin qui ressemble à un Bordeaux par exemple. Ils ont une vraie approche identitaire du produit qu’ils élaborent et une fierté à défendre leurs produits. » Forcément sa perception a changé en comprenant tout cela. « Ailleurs dans le monde, les viticulteurs produisent un vin avec un cépage (la variété de raisins utilisée), en France, nous avons la chance d’avoir une richesse bien plus grande avec la notion de terroir, des terres différentes, des expositions particulières et la magie des assemblages qui subliment les vins. » Le discours de Rémi coule tout seul, les yeux pétillent au moment où il évoque sa vision de la viticulture française. « Je crois qu’il faut faire un vin qui ressemble à l’endroit d’où il vient et refuser de tomber dans la standardisation qui n’est qu’une facilité nocive à la richesse de notre terroir ». Ainsi, vous ne l’entendrez jamais dire qu’il y a de bons et de mauvais vins en fonction de son lieu de production et quand on finit par le pousser à nous avouer son vin « idéal », le centre international s’en sort par un crochet « Le vin idéal est celui que tu prends plaisir à boire avec les gens que tu aimes. On associe toujours la dégustation avec le contexte … » Une sorte de Madeleine de Proust, ce rappel au souvenir d’un bon moment passé. En grattant un peu, il nous détaille le profil de vin qu’il aimerait « un jour » produire. « Il serait Rouge car ce sont des vins qui accompagnent les repas, les moments de partage et de convivialité. Sa couleur serait brillante avec beaucoup de fruits, car avant de vouloir le masquer, c’est le raisin, le produit originel qui doit parler. J’ajouterais une touche subtile de boisé vanillé un peu grillé mais très léger avec beaucoup de longueur en bouche ». Le projet est déjà là, dans un coin de la tête et dans le fond des papilles aiguisées de Rémi qui avoue avoir encore besoin d’un peu de temps pour le mener à bien après sa carrière de Rugbyman. « Je me donnerais encore 2 ou 3 ans pour me perfectionner au-delà de ma formation théorique ». Il sera alors temps de se lancer, probablement en achetant une parcelle. Produire son propre vin serait alors une véritable fierté pour le trois-quarts centre international « Avoir les mains libres et la connaissance pour produire un produit qui me plait vraiment et qui me ressemble, ce serait formidable… » Mieux encore, retourner là où tout a commencé sur les terres défrichées par son arrière-grand-père et reprendre le vignoble. Ce serait un beau clin d’œil vers son histoire familiale… le projet est-il réalisable ? L’avenir le dira… Une chose est sûre, si on se base sur le dicton qui dit qu’un « vigneron est avant tout un homme qui veut transmettre », on peut déjà prédire que Rémi est fait pour cela et que sa reconversion s’impose comme une évidence car on l’écouterait parler de sa passion pour le vin pendant des heures avant de revenir à sa définition « un beau moment de partage ».