Disputer sa première Coupe du monde à 35 ans en portant le brassard de capitaine de sa sélection est une forme d’apothéose dans une carrière de rugbyman. Pour Fritz Lee, encore au four et au moulin jeudi dernier face au Japon, c’est aussi une reconnexion bienfaitrice à ses racines : une histoire d’Homme.

 

Vendredi matin, sur la terrasse de l’hôtel toulousain des Manu Samoa, la démarche du troisième ligne des Jaune et Bleu est saccadée par les traces du combat livré la veille face aux Japonais. Son oreille ensanglantée porte les stigmates d’une engagement sans faille qu’une fleur de tiare, posée au-dessus, dissimule partiellement. Le corps a souffert, mais c’est bien le moral qui est le plus touché après la défaite face aux hommes de Kotaro Matsushima (22 à 28). « Le physique ça va, le mental c’est plus dur après cette deuxième défaite. Nous sommes frustrés et déçus car nous n’avons pas exécuté le plan que nous nous étions fixés dans la semaine. La Coupe du Monde : c’est le très haut-niveau quand tu es indiscipliné, que tu fais trop d’erreurs et que tu manques d’efficacité… ça devient trop compliqué. » Malgré deux essais et une domination écrasante du pack samoan dans le dernier quart d’heure, les joueurs du Pacifique ont laissé, à Toulouse, leurs derniers espoirs de qualification. La dernière semaine qu’ils passeront à Lille avant d’affronter les Anglais (samedi 7 octobre à 17h45) aura pourtant de l’enjeu. « Nous ne sommes plus maîtres de la qualification mais nous allons tout faire pour gagner le dernier match face aux Anglais qui peut nous donner la troisième place de la poule synonyme de qualification pour la prochaine Coupe du Monde. Pour le pays, ce serait quelque chose de fabuleux ! »

Je me sens Samoan, plus que je ne l’ai jamais ressenti ! 

 

La simple évocation de cette perspective pour son pays rend la voix de Fritz hésitante… « il y a beaucoup d’émotions parce que pour moi, c’est vraiment quelque chose cette Coupe du monde. A mon âge, franchement, c’est une chance incroyable d’être ici, de jouer des matchs comme ceux-ci vus dans le monde entier. Hier, j’étais capitaine des Samoa dans un match de Coupe du monde avec ma femme et mes enfants dans les tribunes en France… Whouaaa, c’est un rêve ! » Un rêve comme l’accomplissement d’un chemin sur lequel Fritz a toujours été exemplaire depuis son arrivée à l’ASM. Un chemin qui frôle avec le spirituel et l’introspection personnelle lorsqu’il le ramène à son pays d’origine. « Ces 3 derniers mois ont probablement été les meilleurs moments de ma carrière. Il y a le rugby mais il y a aussi ce que nous avons vécu ensemble. La connexion que nous avons au sein de la sélection est extraordinaire. On travaille, on vit ensemble dans le respect de notre culture de ce que nous sommes. Jouer pour les Manu Samoa a toujours été un rêve pour moi, je savais que cette Coupe du Monde était ma dernière chance … j’ai finalement eu l’opportunité de le réaliser, et c’est vraiment quelque chose de spécial que je vis et apprécie à fond ! »

« Les connexions que j’ai recréer durant cette période sont pour la vie ! »

Fritz avait quitté son île natale à 14 ans pour faire ses études en Nouvelle-Zélande puis débuter sa carrière de rugbyman, laissant derrière lui toute sa famille et ses amis. Les occasions d’y revenir furent rares. Le stage, cet été, avec la sélection nationale fut ainsi bienfaiteur à plus d’un titre. « J’ai retrouvé des amis, des voisins que je n’avais pas vu depuis des dizaines d’années. J’ai même eu beaucoup de mal à en reconnaitre certains ! Lors du match que nous avons disputé à Apia (sa ville de naissance) face au Fidji, tous mes copains d’école sont venus au match. C’était incroyable, je ne le savais pas, je les ai vus après la rencontre. Eux ont suivi toute ma carrière, c’était tellement bien de renouer toutes ces connexions. Désormais, on échange des messages. Ce sont tous des gens que j’aimais voir avec qui je passais du bon temps et le fait de se retrouver par l’intermédiaire du rugby est une chance incroyable qu’il faut maintenant garder et entretenir. Je sais que quand j’aurais fini ma carrière, ces personnes avec qui j’ai eu l’occasion de me reconnecter seront toujours là. Maintenant c’est pour la vie. »

 

Avec ce maillot bleu des Samoa que Fritz a enfilé sur le tard, c’est une véritable reconnexion à ses racines que le troisième ligne clermontois utilise pour se bonifier encore et toujours. Lui qui, à l’été 2022, répétait encore le Siva Tau (cri de guerre des Samoa) secrètement dans sa chambre d’hôtel lors de son premier rassemblement, était hier en première ligne face aux Japonais lors de son exécution. « Être capitaine de ton pays dans une telle compétition est un honneur et une fierté incroyable. Je crois que c’est le sommet de ma carrière ! Toute ma famille, ma femme et mes enfants se souviendront de cela toute leur vie. Quand je suis sur le terrain, il faut que je me retienne de pleurer quand je les vois en tribunes notamment pour les hymnes. C’est tellement fabuleux de vivre cela avec eux. Nous sommes un pays ! L’émotion est énorme. Je me souviens, il y a dix ans quand je suis arrivé à Clermont, jamais je n’aurais imaginé jouer une Coupe du Monde, et là, à 36 ans, j’ai cette chance. C’est fabuleux. »

La chance, l’ASM Clermont Auvergne l’a eu en 2013 en faisant signer ce jeune joueur des Counties Manukau en tant que joker médical d’Elvis Vermeulen… la suite ce n’est que du bonheur dont Fritz compte bien profiter jusqu’à la dernière seconde de cette Coupe du Monde 2023 avant de revenir à Clermont faire ce qu’il a toujours fait : donner le maximum pour l’équipe.